vendredi 23 octobre 2015

A Rive d'Aygue, près du ruisseau de Suc.

Le foyer mort.


Depuis combien de siècles le torrent de Suc emplit-il la vallée de son grondement sourd ? Nul ne s’est fatigué de cette chanson qui porte aux cimes. Et ceux qui sont morts loin de la patrie, l’ont sauvagement entendue dans le premier délire de l’au-delà.

Mais pourquoi, dans des temps anciens, cette maison fut-elle désertée ? Car c’est un crime d’abandonner les maisons. Elles meurent comme nous à grande angoisse quand nous n’y sommes plus, et jamais plus elles ne reverront le pas légèrement chaussé des enfants.

Mais celle-ci, cette maison, pourquoi attend-elle de ses fenêtres vides ? Pourquoi ne s’affaisse-t-elle pas d’un coup dans la forêt ? Quel espoir a-t-elle de voir le maître revenir avec le troupeau. Brisée, ruinée, tombante, quel espoir fallacieux de voir la maisonnée !

L’herbe mauvaise et drue a dévoré la clôture. Il n’en émerge que des chevrons vaguement croisés et, depuis deux mille ans, la croix est le symbole de la douleur devant la mort. Si elle est vraie, la croyance des mères, pourquoi sont-elles en sanglots devant les croix ?

Les allées du jardin ne sont pas cicatrisées. Aucune plante amie n'a subsisté ici. Seule, sur un rosier, une fleur pâle et fragile lève son calice amer vers le Gréoula. Elle allumera la vallée du soir, elle brillera dans l’avancée de la nuit et puis, elle mourra demain...


Ne cherchez plus le secret de la maison. Elle n’attendait pas vainement. Ils sont revenus cette nuit avec l’épouvantable étonnement de la mort. Ils ont trébuché longtemps sur le seuil leurs mains pauvres cherchaient un appui, ils sortaient des limbes et ne savaient rien de plus que leur désespoir. Et, pendant que le ciel étoilé vibrait à la fenêtre, dans l’ombre de la maison, le père, la mère et les deux enfants depuis cent ans séparés par tant de tombes, ils se sont étreints frénétiquement. Ils riaient de bonheur parce que la nuit était longue, et tellement à part du monde vivant !

Et quand le soleil a puissamment flotté au-dessus des brumes du Vicdessos, son premier rayon a frappé la toiture, à grands fracas la maison s’est ensevelie. 



Puis le bruit du torrent de Suc s’est élevé de nouveau et la rose blanche avant de s’effeuiller à tremblé doucement sur sa tige.




Contes et Chroniques, Henri Sabarthez